Dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, les règles devant encadrer les arrêtés municipaux visant à lutter contre le Covid-19 s'éclaircissent peu à peu, au gré des décisions, comme celles des juges des référés suspendant l'exécution des arrêtés couvre-feu pris par les maires de Lisieux ou de Saint-Ouen-sur-Seine ou celle du juge de Cergy-Pontoise suspendant l'exécution de l'arrêté du maire de Sceaux portant obligation de porter un masque (voir notre article).
C'est la ligne tracée par le Conseil d'État dans son ordonnance de référé du 22 mars dernier, dans lequel le juge a estimé que "le représentant de l’État dans le département et le maire disposent […] du pouvoir d’adopter […] des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local", allant même jusqu'à juger que "dans le cadre du pouvoir qui leur a été reconnu par [le] décret [du 23 mars dernier] ou en vertu de leur pouvoir de police, les représentants de l’État dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires, des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient".
Une précision utile puisque l'existence d'un pouvoir de police spéciale peut, dans certains cas, conduire le juge à interdire au maire d'user de son pouvoir de police générale, comme on l'a vu récemment avec le cas des arrêtés anti-pesticides ou anti-Linky.
La consigne a bien été reçue par les juges du fond, comme dans le cas de Sceaux, où le juge reprend les termes mêmes de la décision du Conseil d'État, ou à Montreuil ou à Caen, où les juges des référés ont retenu dans leur ordonnance la même rédaction : "Le pouvoir de police spéciale conféré à l'État en cas d'urgence sanitaire ne fait pas obstacle à ce que, pour assurer la sécurité et la salubrité publiques […], le maire fasse usage des pouvoirs de police générale."
Reste que ce pouvoir, encadré, est soumis à condition. Là-encore, le Conseil d'État a balisé la piste : "Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession, doivent […] être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent."
Pour être nécessaires, ces mesures doivent être justifiées par des "circonstances locales particulières", comme l'ont rappelé les différents juges du fond, qui vérifient l'existence de ces dernières. Ainsi, considérant que l'intervention des sapeurs-pompiers pour éteindre des feux de poubelle ou des traces d'effraction et des dégradations d'un stade ne sont pas suffisantes pour justifier au plan local de restrictions supplémentaires, le tribunal de Caen a suspendu l'exécution de l'arrêté couvre-feu du maire de Lisieux. De même, dans la mesure où le préfet avait pris pour l'ensemble du département un arrêté interdisant l'ouverture des boissons après 21 heures, le juge de Montreuil a suspendu l'exécution de l'arrêté du maire du Saint-Ouen-sur-Seine qui visait l'ouverture tardive de certains commerces favorisant les attroupements. Dit autrement, quand le préfet passe, le maire cède la place.
C'est ce même défaut de "risque propre à la commune de Sceaux" qui conduit le juge des référés de Cergy-Pontoise à suspendre l'exécution de l'arrêté municipal. Pourtant, la ville avait pris soin de souligner à l'audience qu'elle "compte 25% de personnes âgées de plus de 65 ans et que la mesure prise est justifiée par la nécessité de protéger ces personnes qui vont faire leurs courses dans l'unique rue piétonne de la commune", "où sont regroupés tous les commerces" et "où elles risquent de se trouver en contact avec des porteurs sains du virus". Mais le juge lui objecta que "la commune avait mis en place un service de courses livrées à domicile au bénéfice des personnes âgées, susceptible de leur permettre d'éviter des déplacement". Est-ce à dire que sans cette seconde mesure la première aurait pu être permise ?
La décision du tribunal de Cergy – contre laquelle la ville de Sceaux a décidé de faire appel – pose aussi la nécessité d'une mesure "proportionnée", notion imprécise et donc sujette à débat.
À l'audience, la ville de Sceaux a argué avoir opté pour le port obligatoire d'un dispositif de protection à l'ensemble de la population, jugeant la solution moins attentatoire aux libertés que d'imposer un confinement aux personnes âgées. Ce qui paraît difficilement contestable. Pour autant, le juge estime que le même objectif de protection aurait pu être atteint "par une mesure moins contraignante, telle celle d'imposer le port d'un dispositif de protection efficace aux seules personnes âgées ou de leur réserver l'usage des commerces à certaines heures de la journée".
La piste des horaires réservés a déjà été mise en œuvre par certaines grandes chaînes de distribution et pourrait convaincre. Celle de réserver le port du masque aux seules personnes âgées laisse a contrario perplexe, puisque l'on sait que le port du masque alternatif ne vise pas tant à se protéger soi-même qu'à protéger les autres...
La question des masques, professionnels ou alternatifs – à commencer par leur disponibilité, sujet qui a d'ailleurs donné lieu à une autre décision du Conseil d'État – continue ainsi de défrayer la chronique, dans notre pays du moins. Pour le sénateur Bruno Retailleau, "cette affaire de masques restera dans cette crise comme le symbole d'une mauvaise gestion. C'est parfaitement chaotique (...), ce n'est que l'alibi d'une insuffisance, de la pénurie de masques", a ainsi estimé l'élu ce 10 avril sur CNews.
D'un côté, l'Association des maires de France, sur proposition du professeur Philippe Juvin, maire de La Garenne-Colombes et chef du service des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou à Paris, recommande aux maires "de conseiller à la population de porter un masque" (voir notre article). Les collectivités multiplient d'ailleurs les achats de ces derniers (65 millions par les seules régions au 7 avril) ou organisent une production locale de masques dits alternatifs. Emboîtant ici le pas de l'Académie nationale de médecine qui, dans un communiqué du 2 avril, a recommandé "que le port d’un masque 'grand public', aussi dit 'alternatif', soit rendu obligatoire pour les sorties nécessaires en période de confinement".
De l'autre, le ministre de l'Intérieur vient d'indiquer, lors de son audition le 9 avril par la mission d'information sur l'épidémie de l'Assemblée nationale, avoir "demandé aux préfets de prendre langue avec les deux maires [outre celui de Sceaux, celui de Royan] ayant pris des arrêtés prévoyant le port du masque obligatoire pour qu'ils les retirent pendant toute la période du confinement". Le ministre estime en effet :
• que la mesure est "peu cohérente par rapport à l'exigence qu'implique le confinement puisque cela peut laisser penser qu'on peut sortir si on a un masque en s'affranchissant des règles du confinement". Toutefois, en prescrivant cette obligation, les maires n'entendent pas "inciter" les citoyens à sortir, mais seulement les protéger lorsqu'ils sont contraints de le faire, parfois d'ailleurs à l'invite des pouvoirs publics eux-mêmes (voir les déclarations de la ministre Muriel Pénicaud invitant la Capeb à faire preuve de "civisme" en demandant à ses adhérents de poursuivre leurs chantiers) ;
• que la mesure mettrait en cause "l'égalité territoriale parce que certaines communes peuvent avoir les moyens d'équiper l'ensemble de leur population en masques quand d'autres ne l'auraient pas". Un argument dont la généralisation pourrait surprendre, exposé qui plus est le jour même de la publication au Journal officiel d'un décret offrant aux préfets des marges de manœuvre pour adapter la réglementation nationale aux réalités locales (voir notre article) ;
• que le sujet "n'est pas médicalement démontré".
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