oui, mais pour quoi faire ?


Après une première série d’auditions menée en mars dernier, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale a invité les députés à s’interroger sur les perspectives de la décentralisation de la politique du logement. Sur fond de crise inédite du secteur, le président de la délégation, Thomas Cazenave, a affirmé d’emblée que l’ouverture d’un nouveau chapitre de la décentralisation, évoqué par le président de la République en octobre dernier, "n’aurait de sens que si elle est au service d’une plus grande efficacité des politiques publiques". D’où l’ambition des parlementaires de s’interroger sur les perspectives d’un tel mouvement dans un contexte de crise qui touche "l’offre de logement". Une offre qui aura retrouvé en 2022 son niveau... de 2016, après avoir enregistré une baisse de près de 4% sur un an.

Dans ces conditions, interroge l’élu, la décentralisation de la politique du logement peut-elle être une réponse à la crise, en introduisant "une plus grande territorialisation et responsabilisation des élus" ? À travers la politique de la ville ou encore l’attribution de logements sociaux, les élus de terrain participent déjà à la mise en œuvre de ces politiques, reconnaît d’ailleurs Thomas Cazenave, qui n’entend pas faire de la décentralisation une question de principe mais davantage "un enjeu d’efficacité".

Olivier Klein veut manier "fermeté et intelligence"

Présent à l’ouverture des débats, le ministre du Logement, Olivier Klein, a tenu à rappeler que la décentralisation "ne peut être qu’un moyen et pas une fin en soi". "Si elle peut être un bon outil, il faut savoir pour quoi faire", explique-t-il. Prenant l’exemple de la Loi SRU (solidarité et renouvellement urbains) de 2000, le ministre rappelle que "si elle était respectée, ce serait 70.000 logements que l’on produirait immédiatement !" Alors pour inciter les territoires qui traînent les pieds à produire davantage, le ministre estime qu’il faut "manier la fermeté et l’intelligence". Derrière les chiffres, reprend Olivier Klein, c’est avec l’acte de construire qu’il faut réconcilier les Français, les citoyens comme les élus, le tout dans un contexte de sobriété foncière.

Pas de plein emploi sans plan logement

À l’occasion d’une première table ronde, les représentants du secteur du logement étaient donc invités à répondre à la question suivante : "une plus grande territorialisation des dispositifs publics pourrait-elle faciliter la relance de l’offre de logements ?" Présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), Emmanuelle Cosse fait le constat que "décentralisation ou pas, le logement est trop cher et trop peu disponible". Prenant l’exemple de la dynamique économique des départements du nord de la France, portée par les chantiers et les perspectives du Canal Seine Nord, notamment, la présidente de l’USH explique "qu’il n’y a pas un seul logement de disponible pour les salariés qui vont venir demain !" Dit autrement, "je ne sais pas comment on fait le plein emploi s’il n’y a pas un plan logement". Quant à la décentralisation, elle est d’une certaine manière déjà à l’œuvre, estime l’ancienne ministre : "La question est : comment on met en mouvement des besoins identifiés et des moyens pour agir." Veut-on davantage de décentralisation "pour une plus grande efficacité ou bien pour se débarrasser d’un fardeau ?" "Ce que je souhaite, c’est que ça marche et pas simplement faire passer la responsabilité de l’État vers les collectivités." La présidente de l’USH dit craindre, au final, "une décentralisation de compétences qui seraient découpées et que ce découpage empêche la qualité de l’action publique".

"La décentralisation, oui ! Mais comment, pour quoi faire et avec quels moyens !"

Président de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI), Pascal Boulanger s’interroge : "Est-ce que la France a encore envie de construire ?" D’un côté "l’État bloque la construction" et de l’autre "les PLU sont plus restrictifs que les POS" ! Plus qu’un besoin de décentralisation, il réclame "une volonté sur l’acte de construire". Certaines collectivités, explique-t-il, "se retroussent les manches et d’autres pas...". L’enjeu consiste donc à aider davantage "les maires bâtisseurs" dans un contexte "où l’on a tout fait pour qu’ils n’aient plus intérêt à agir !", regrette-t-il.

Pour sa part, Bruno Arcadipane, président d’Action logement, rappelle que l’urgence est là. "Il y a un problème d’offre car on ne construit plus assez, ni des logements sociaux, ni dans le privé." La seconde problématique concerne l’optimisation de l’existant face aux enjeux de la décarbonation qui va nécessiter des moyens lourds : "Nous avons devant nous un chantier qui va durer des dizaines d’années et qui va coûter des centaines de millions." En écho aux propos d’Emmanuelle Cosse, Bruno Arcadipane insiste également sur le fait que la réindustrialisation va créer des emplois et qu’il faudra que le logement suive ce mouvement. Enfin, la question de l’habitat indigne va elle aussi nécessiter des investissements pour lesquels il est grand temp d’agir : "Le pays a besoin de calme et le logement est un amortisseur." Au final, conclut le président d’Action logement, au sein du binôme État-élus locaux, "tout est question d’équilibre" : "La décentralisation, oui ! Mais comment, pour quoi faire et avec quels moyens !"

"On a tendance à arroser là où c’est déjà mouillé"

À la question "comment réconcilier la France avec l’acte de produire des logements nouveaux", Catherine Sabbah, copilote d’un groupe de travail qui a planché sur le sujet dans le cadre du CNR Logement, rappelle que le champ de la politique du logement est vaste, depuis le soutien au secteur du bâtiment, le droit au logement, la lutte contre le changement climatique ou encore le sujet de la mixité sociale. Autant d’enjeux "compliqués et parfois contradictoires", sur lesquels elle s’interroge : "L’État doit-il demeurer garant de ces enjeux-là ou les confier aux collectivités qui pourraient être tentées de ne pas agir ?" Les mécanismes d’aides publiques existent et ont tendance à "homogénéiser" les différences entre les territoires. Une situation qui aboutit à une concentration des aides qui fige les situations sans toujours tenir compte des évolutions de ces mêmes territoires. En résumé, "on a tendance à arroser là où c’est déjà mouillé !". Catherine Sabbah rappelle à ce titre que depuis dix ans, 40% de la production de logements neufs s’est concentrée sur 1% des communes.

La seconde table ronde organisée à l’occasion de ces rencontres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation fera l’objet d’un traitement ultérieur.

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