"La fin d'un cycle." Ces mots ont plusieurs fois été prononcés ces 20 et 21 octobre à Besançon, au fil du 81e congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF). Entre autres par Claudy Lebreton, président de l'association. La fin d'un cycle électoral, d'abord : celui des scrutins territoriaux, depuis les municipales de 2008 jusqu'aux cantonales de 2011 en passant par les régionales de 2010… avec évidemment, en point d'orgue, les sénatoriales de septembre dernier. De toutes parts en effet, le basculement de la majorité sénatoriale est perçu par les élus départementaux comme un évènement tout à fait marquant. Comme une nouvelle donne décisive dans le paysage politique français, en tout cas pour le devenir des réformes touchant les collectivités.
La fin d'un cycle, c'est aussi la perspective du cycle à venir – celui des échéances nationales du printemps prochain. D'où "un congrès moins technique, plus politique", tel que l'a par exemple exprimé Vincent Eblé, président de la Seine-et-Marne. D'où, aussi, l'impression que ce 81e congrès était en quelque sorte un congrès d'attente. Y compris en écoutant le ministre chargé des collectivités, Philippe Richert, venu s'exprimer jeudi à Besançon : pas d'annonce particulière pour l'avenir immédiat, plutôt des pistes de réflexion… pour plus tard, pour la prochaine législature. Et ce, qu'il s'agisse de finances, d'organisation institutionnelle ou de compétences.
Même le conseiller territorial, ce grand dessein gouvernemental qui a nourri tant et tant de débats depuis plus de deux ans, il n'en est presque plus question. Certains en parlent même au passé. Et si Philippe Richert l'a évoqué, c'est pour confirmer ce qu'avait indiqué François Fillon le 7 octobre : le texte de loi qui devait venir définir les territoires d'élection des conseillers territoriaux (autrement dit, le découpage cantonal) est bien reporté au second semestre 2012, après les élections. En clôture du congrès, le nouveau président du Sénat, Jean-Pierre Bel, a lui aussi confirmé que François Fillon "a bien voulu admettre qu'il fallait se donner du temps". Il a surtout déclaré : "Je pense avec beaucoup d'entre vous que pour aller plus loin, il faut remettre en cause cette réforme, reprendre complètement ce chantier."
"Nous sommes dans un entre-deux", "le moment est très particulier"… Cela aussi, on l'a beaucoup entendu à Besançon. Et pas uniquement pour des questions de calendrier électoral. Les présidents de conseils généraux ont évidemment tous en tête le contexte de crise financière et économique. La crise et ses conséquences sur les finances publiques, mais aussi ses conséquences sur les populations fragiles et donc sur les départements appelés plus que jamais à jouer leur rôle de "bouclier social".
A ce titre, Philippe Richert est d'abord venu rappeler que la nécessité d'"assainir les finances publiques beaucoup plus rapidement que prévu" ne pourra guère épargner les collectivités. Il a ainsi confirmé que, pour commencer, la nécessité de "trouver un milliard d'euros d'économies supplémentaires" dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2012 impliquera bien, comme l'a déjà plusieurs fois fait savoir Valérie Pécresse, 200 millions d'euros "d'ajustements sur les dotations aux collectivités". Ce qui pourrait signifier un montant de 65 millions d'euros de moins pour les départements, en déduit Claudy Lebreton. Le ministre chargé des collectivités a précisé que la dotation générale de fonctionnement des départements "sera maintenue, en montant global, à son niveau de l'an dernier" et que "le prélèvement sur recettes qui alimente les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle" sera lui aussi "reconduit" (le gouvernement vient de déposer des amendements en ce sens).
Le ministre s'est aussi employé à faire valoir que, s'il est parfaitement conscient que "l'effet de ciseaux" qui touche les finances départementales "nécessite des réponses structurelles", un certain nombre de "réponses immédiates" ont été apportées : l'ajustement définitif de la compensation du RSA dans le cadre du PLF, la reconduction du FMDI, le fonds exceptionnel d'aide aux départements en difficulté (deux enveloppes de 75 millions chacune, dont on attend encore de savoir si elles seront renouvelées en 2012), les 3 milliards d'euros de prêts aux collectivités…
Philippe Richert a aussi insisté sur le retour à la hausse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) qui amènerait une vraie bouffée d'oxygène aux départements. Ces DMTO devraient, a-t-il assuré, rapporter 1,5 milliard d'euros de plus en 2011 qu'en 2008 : 7,2 milliards en 2008, 5,3 milliards en 2009, 7 milliards en 2010 et probablement 8,7 milliards d'ici fin 2011. A ce sujet, il a aussi mis l'accent sur le système d'écrêtement des hausses de DMTO mis en place pour assurer une dose de péréquation entre départements. Et a d'ailleurs proposé que l'on "mette en réserve une partie des sommes collectées" afin d'anticiper une éventuelle nouvelle baisse. "Cela pourra être discuté au parlement" dans le cadre du PLF, a-t-il dit.
Pour beaucoup des élus qui se sont exprimés, mettre ainsi en avant une hausse des DMTO sans mettre en miroir la hausse des dépenses subie par les départements n'a guère de sens. Claude Bartolone, par exemple, a relevé que dans son département, la Seine-Saint-Denis, la hausse des DMTO (+17 millions d'euros) ne représente que "10% de l'écart entre les dépenses obligatoires du conseil général et les compensations apportées par l'Etat".
Plus globalement, les présidents de conseils généraux n'ont eu de cesse de souligner que l'on ne peut plus désormais se contenter de "pansements", de "bricolages"… ni, selon Jean-Pierre Bel, de "bouées de sauvetage". Toujours en cause : l'impossible financement des trois allocations de solidarité (APA, RSA, PCH), dont le coût augmente de près d'un milliard d'euros par an. Avec un reste-à-charge pour les conseils généraux qui "atteindra 6 milliards d'euros en 2011", tel que le souligne la résolution finale du 81e congrès. Avec en toile de fond, évidemment, l'abandon de la réforme de la prise en charge de la dépendance, chantier sur lequel l'ADF s'était fortement mobilisée.
Il faut maintenant "changer de braquet, sans quoi nous serons confrontés à une vraie crise", lançait par exemple Jérôme Guedj, président de l'Essonne, évoquant principalement "une crise du vieillissement" et appelant, au delà des seules revendications en faveur d'une meilleure compensation de l'APA, à "une grande loi d'orientation sur l'allongement de la vie".
"Le système est en train de prendre l'eau de toutes parts", résumait pour sa part Arnaud Montebourg, président du conseil général de Saône-et-Loire. Le constat semble partagé par les présidents de droite. On aura ainsi entendu Buno Sido, président du groupe de la droite, du centre et des indépendants (DCI) de l'ADF, déclarer : "Faire toujours plus en ayant toujours moins… On ne peut plus continuer ainsi. A des problèmes nationaux, seules des évolutions nationales peuvent être trouvées." "On ne pourra pas se contenter de la solidarité interdépartementale pour régler le problème de la solidarité nationale", a de même estimé Philippe Adnot, tandis que son jeune homologue UMP du Maine-et-Loire, Christophe Béchu, évoquait "une situation intenable".
"Dans ce contexte, discuter de schémas, de compétences facultatives… cela peut sembler un peu hypothétique", poursuivait Christophe Béchu. Et pourtant, les échanges de jeudi ont bien été orientés sur ce type de notions. Il faut dire que l'ADF avait invité Jean-Jacques de Peretti à venir réexposer les grandes lignes de son récent rapport sur les schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services, ces schémas prévus par la loi de réforme des collectivités. Et surtout, la plupart des élus considèrent que c'est précisément parce que les départements, et plus largement les collectivités, connaissent une situation plus critique que jamais qu'il faut engager sans tarder une réflexion globale sur les compétences, sur les relations entre niveaux de collectivités… "Il faut une refondation", résumera l'un d'eux.
Philippe Richert lui-même a d'ailleurs abondé en ce sens avec, selon lui, quatre interrogations majeures : "Comment mieux appréhender les compétences déjà transférées aux collectivités ? Quelle redéfinition des compétences entre niveaux de collectivités ? Quelles relations entre Etat et collectivités ? Quels financements privilégier, entre d'une part des dotations risquant de diminuer l'autonomie des collectivités et d'autre part des ressources fiscales pas toujours adaptées ?"
Claude Jeannerot, président du conseil général du Doubs, le département qui accueillait ce 81e congrès, identifie pour sa part les "trois grandes questions" pour l'avenir des départements en ces termes : "Quelle solidarité sociale et territoriale voulons-nous ? Comment financer ces solidarités et donc repenser l'architecture fiscale ? Quelles sont les conditions à réunir sur le plan de la démocratie ?" On citera enfin Yves Krattinger (coauteur en 2009 au Sénat, avec Claude Belot, d'un rapport apprécié sur "l'organisation et l'évolution des collectivités") pour qui "avant de parler directement de compétences, il faut fixer la mission de chaque niveau de collectivités" : le "service public de proximité" pour les communes et intercommunalités, la "solidarité sociale et territoriale" pour les départements, "la préparation de l'avenir des hommes et des territoires" pour les régions. "Proximité, solidarité, avenir : ce socle proposé par Yves Krattinger est le bon", a par exemple acquiescé Arnaud Montebourg.
En ce sens, la demande, réitérée par Claudy Lebreton, d'un "acte III de la décentralisation" est assez largement entendue. Certes, au delà du principe et du constat, les voies proposées divergent en partie. Ainsi, d'aucuns - y compris parmi les élus de gauche - estiment qu'il faut commencer par consolider voire réinterroger l'existant avant de songer à un éventuel approfondissement de la décentralisation. De même, sur les moyens financiers, tous parlent de la nécessité de "réformer en profondeur la fiscalité locale". Mais tout le monde n'avance pas les mêmes pistes : part de CSG, deuxième journée de solidarité, moratoire sur les niches fiscales… "Visiblement, sur les moyens financiers, le concours Lépine est ouvert", s'est amusé Pascal Terrasse, président de l'Ardèche. On notera toutefois qu'une première petite brique, proposée par Bruno Sido au nom des présidents de droite, pourrait peut-être faire son chemin : commencer par étendre l'actuelle journée de solidarité à l'ensemble des actifs au lieu des seuls salariés. "Cela dégagerait 3,2 milliards d'euros, soit 1 milliard de plus qu'aujourd'hui", a expliqué le président de la Haute-Marne.
Afin de préfigurer cet acte III, l'ADF entend dans un premier temps préparer un "manifeste pour le département de demain" – ou "manifeste de la démocratie territoriale" – qui serait notamment soumis aux candidats à l'élection présidentielle. L'association entend également prendre une part active aux initiatives qui seraient prises du côté du Sénat, sachant que l'on compte aujourd'hui 36 sénateurs également présidents de conseil général. Sachant, surtout, que Jean-Pierre Bel est venu confirmer à Besançon que le Sénat "organisera dans les semaines qui viennent des états généraux des élus locaux". "Ces états généraux réuniraient toutes les associations d'élus et les acteurs du développement local, associatif, économique et social. Majorité et opposition y prendront toute leur part", a poursuivi l'élu de l'Ariège.
Jean-Pierre Bel avait auparavant précisé devant la presse qu'il s'agira d'abord de "réaliser un état des lieux de la situation des collectivités", car "en réalité, on manque d'éléments objectifs". "C'est la cohérence, la vision d'ensemble, qui fait souvent défaut", a estimé le président de la Haute Assemblée, qui souhaite "que cet état des lieux soit achevé en février" et qu'ensuite, les états généraux soient organisés "sous une forme nécessairement décentralisée". Son intention : donner un rôle moteur au Sénat dans la "relance de la démocratie territoriale" et "être l'interlocuteur de tous les élus" – des 550.000 élus locaux du pays.
Claire Mallet, à Besançon
Un groupe de travail interministériel sur les mineurs étrangers isolés
Le garde des Sceaux Michel Mercier a indiqué jeudi à Besançon la mise en place d'un groupe de travail interministériel et d'un groupe de travail interdépartemental sur les mineurs isolés étrangers. "Un travail interministériel pour apporter des solutions pérennes à ce problème doit être engagé, le ministère de la Justice n'étant pas le seul à être concerné par cette problématique", a déclaré le ministre lors du congrès de l’ADF. Il faut aussi tenir un travail interdépartemental, "la loi ayant confié aux départements la prise en charge de ces mineurs", a-t-il poursuivi. Cette année, près de 6.000 mineurs isolés étrangers ont dû être pris en charge sur le territoire métropolitain au titre de l'aide sociale à l'enfance qui dépend des conseils généraux, a-t-il souligné. "Mais cette charge pèse plus fortement sur certains départements, comme en Seine-Saint-Denis où il y a plus de 1.000 mineurs isolés étrangers", a relevé le ministre. "On a réagi pour le moment avec des mesures d'urgence, qui ne peuvent pas être des réponses pérennnes", a dit le ministre. "Nous avons mené une réflexion afin que les mineurs isolés étrangers de Seine-Saint-Denis puissent, dans un cadre légal et à titre de solution d'urgence, être accueillis dans d'autres départements. Une répartition de ces mineurs sur 21 départements a été retenue", a-t-il précisé. Michel Mercier, qui est aussi président du conseil général du Rhône, a également lancé un appel à ses homologues des autres départements pour qu'ils accueillent des postes de travail d'intérêt général (TIC). "Ils constituent un formidable outil de réinsertion et de préventionn de la récidive", a-t-il souligné. "Toutefois, les postes de TIG restent encore peu nombreux dans les départements et je vous invite à vous saisir de ce dispositif pour permettre aux juges d'y recourir plus souvent."
Source AFP
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