"Il est temps que l’Europe se saisisse pleinement de la question du fret ferroviaire pour le remettre sur les rails", a déclaré ce 30 mars Jean-Baptiste Djebbari, à l'issue d'un conseil informel des ministres des Transports de l'Union européenne. La veille – preuve qu'un train peut en cacher un autre – la Commission européenne, en coopération avec la présidence portugaise du Conseil de l'UE, avait officiellement lancé "l'Année européenne du rail".
Dans sa communication, la Commission a fait le choix de mettre en avant le périple à travers l'Union, à partir du 1er septembre prochain, d'un "Express pour l'interconnexion en Europe". Cet "exemple concret de la force unificatrice des rails", selon les mots de la commissaire chargée des transports, Adina Vălean, a pour mission de vanter, dans les près de 40 gares où il s'arrêtera, les avantages du ferroviaire pour les passagers, les marchandises et l'environnement, mais aussi à "attirer l'attention sur l’importance du financement d’infrastructures durables, et du soutien européen de ces investissements avec, notamment le nouvel accord [provisoire] sur le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE)".
Une attraction jugée visiblement insuffisante pour 16 ministres des transports de l'UE – le Français en tête –, qui viennent officiellement, dans une déclaration commune (en anglais), d'appeler la Commission européenne "à lancer une initiative en faveur des opérateurs de fret ferroviaire afin de promouvoir le report modal vers des transports propres". Les ministres y rappellent que pour atteindre les objectifs fixés en matière climatique – dont la neutralité carbone en 2050 – une part substantielle des 75% du fret terrestre transporté aujourd'hui par la route doit être transférée au rail et aux voies navigables intérieures. Or, s'ils considèrent que le fret ferroviaire a un potentiel "énorme", ils estiment qu'il reste encore beaucoup à faire pour moderniser le secteur : numérisation, automatisation, interopérabilité, passage à un matériel roulant plus durable.
Ils invitent en conséquence la Commission à lancer rapidement une étude sur des dispositifs européens de soutien aux opérateurs ferroviaires, en particulier de fret, afin de parvenir à un report modal concret de la route vers le rail et de favoriser des mécanismes plus innovants et compétitifs, comme le couplage automatique numérique (ou encore l'adaptation des gabarits d'infrastructures, par exemple des wagons baissés pour le transport de semi-remorques).
Les ministres recommandent que l'étude se focalise notamment sur les points suivants :
- le pourcentage de transfert modal réalisable compte tenu de la capacité actuelle du réseau ferroviaire européen ;
- le pourcentage de transfert modal supplémentaire réalisable en se concentrant sur des problèmes concrets d'interopérabilité ;
- les investissements nécessaires au niveau européen pour résoudre les problèmes de capacité et d'interopérabilité mis en évidence par l'étude ;
- les actions visant à accroître la sensibilisation des clients, notamment par l'utilisation de labels verts ;
- le pourcentage de transfert modal atteignable en introduisant un mécanisme financier non discriminatoire au niveau de l'UE pour couvrir les externalités positives (en termes d'émissions de gaz à effet de serre, de bruit, de congestion, de pollution atmosphérique ou de décès) du fret ferroviaire par rapport à la route (distinct du régime d'aides d'État au niveau des États membres) ;
- des programmes de l'Union pour soutenir les opérateurs ferroviaires, singulièrement de fret, à bref délai.
Les ministres proposent qu'à la suite d'une réunion de lancement organisée par la Commission européenne en avril 2021, une première réunion de suivi se tienne à Paris en juin.
Dans le même temps, la Commission est appelée à renforcer les efforts conduits en matière d'innovation et de digitalisation du fret ferroviaire, tant en faveur des infrastructures que des opérateurs. Au-delà du régime européen, sont également souhaitées une simplification et une accélération des procédures en matière d'aides d'État en faveur du transport ferroviaire de marchandises (les ministres suggérant un assouplissement des lignes directrices de la Commission sur les aides d'État aux entreprises ferroviaires 2008/C 184/07).
L'initiative ne manquera sans doute pas de susciter quelques remous. Rappelons que c'est au Conseil européen (qui réunit les chefs d'État ou de gouvernement des États membres, ainsi que les présidents du Conseil européen et de la Commission) qu'il revient de définir les orientations et les priorités politiques générales de l'Union européenne, et à la Commission européenne qu'appartient le monopole de l'initiative législative. On relèvera également que parmi les États membres qui n'ont pas signé cette déclaration, figurent l'Allemagne, le Portugal – qui préside actuellement le Conseil de l'UE –, l'Espagne ou encore la Pologne. Contactés sur ces points par Localtis, ni le cabinet du ministre, ni la Commission n'ont souhaité répondre.
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