Alors que les Restos du cœur viennent de lancer, le 23 novembre, leur 37e campagne annuelle, le Secours catholique publie son traditionnel rapport annuel sur "L'état de la pauvreté en France". Intitulé cette année "Faim de dignité" et portant sur les chiffres de 2020, il se fonde sur les données issues de l'observation, sur l'ensemble du territoire national, de plus de 38.800 situations (sur les 777.000 personnes accueillies en 2020). Cette édition 2021 consacre un très large focus à la question de la précarité alimentaire, à travers la restitution une enquête menée auprès de 1.088 ménages ayant eu recours à l'aide alimentaire d'urgence allouée par le Secours catholique durant le premier confinement, de mars à mai 2020.
On pourrait objecter que la période étudiée par cette enquête correspond à un moment de crise totalement inédit, qui a complètement bouleversé le fonctionnement des pouvoirs publics et durant laquelle ces derniers ont mis un certain temps à s'adapter. Elle n'en apporte pas moins des enseignements intéressants, valables au-delà du seul contexte de la crise sanitaire. Le Secours catholique considère en effet que "la crise sanitaire a agi comme un puissant révélateur d'une insécurité alimentaire déjà bien ancrée pour des millions de Français" et que "la pandémie de Covid-19 a déstabilisé des situations budgétaires déjà très serrées".
Le rapport estime que jusqu'à 7 millions de personnes auraient eu recours à l'aide alimentaire en 2020, soit près de 10% de la population française, ce qui constitue "du jamais vu en période de paix". Après le besoin d'écoute, la première demande exprimée par les ménages auprès des permanences du Secours catholique porte sur l'aide alimentaire. En légère baisse ces dernières années, celle-ci est repartie à la hausse en 2020 jusqu'à concerner 54% des ménages rencontrés.
Ces derniers sont principalement des ménages à très faibles ressources (niveau de vie inférieur à 600 euros), parmi lesquels se trouvent notamment des étrangers sans statut légal stable, des jeunes, des personnes seules en marge de la société ou des familles vivant en logement précaire. Mais le Secours catholique constate également la présence de "ménages disposant de ressources plus élevées, vivant en logement stable, percevant des revenus du travail ou des transferts". Il s'agit en l'occurrence de "ménages aux budgets extrêmement contraints, avec des dépenses souvent incompressibles (loyer et charges, transport, santé, pensions alimentaires, remboursement de dettes...) qui ponctionnent trop fortement leurs ressources". Autres facteurs de fragilité : la monoparentalité, la présence d'enfants ou l'existence d'impayés. La crise sanitaire a fait augmenter les demandes d'aide alimentaire, notamment dans les familles avec enfants et chez les jeunes de moins de 25 ans (+6 points entre 2019 et 2020).
En effet, plus des deux tiers des ménages ayant répondu à l'enquête sont des familles avec enfants, monoparentales pour près de la moitié d'entre elles. Leur niveau de vie médian mensuel s'élève à 235 euros, très en deçà du seuil d'extrême pauvreté. Plus de la moitié (57%) déclarent demander de l'aide alimentaire pour la première fois. Elles sont alors un peu moins pauvres monétairement que les autres, mais ont subi une perte de revenu (30% des enquêtés) ou une hausse des charges, liée notamment à la fermeture des cantines. En outre, 46% des ménages interrogés disent rencontrer des difficultés à se déplacer pour faire des courses.
Conséquences de ces situations : 9 ménages attributaires sur 10 souffrent d'insécurité alimentaire, dont plus du quart (27%) souffrent d'une insécurité alimentaire grave, les amenant, de manière régulière, à ne pas s'alimenter pendant une journée entière ou davantage. Dès lors, 80% des ménages (et une proportion plus élevée encore chez ceux qui souffrent d'une insécurité alimentaire grave) se disent préoccupés par les conséquences sur leur santé.
Dans son plaidoyer, le Secours catholique demande "un accès digne à une alimentation saine et de qualité" et, face à la montée du nombre de demandeurs d'aide alimentaire, se demande "comment pouvons-nous tolérer un tel scandale ?". Pour l'association, "ce recours massif à l'aide alimentaire est révélateur de problèmes de fond, étayés par le présent rapport, à commencer par l'insuffisance des minima sociaux et des revenus en bas de l'échelle sociale". Le rapport s'inquiète aussi de "la qualité très aléatoire des produits", issus de la redistribution d'invendus de la grande distribution et de denrées achetées dans le cadre de fonds européens exclusivement pour l'aide alimentaire. Or, "est-il satisfaisant de donner les 'restes' d'une société de surconsommation à ceux qui se sentent déjà exclus ?". Pour le Secours catholique, "un tel symbole est incompatible avec l'égale dignité des personnes et avec le principe de fraternité !".
Le communiqué des Restos du cœur du 23 novembre, lors du lancement de la campagne, rejoint les observations du Secours catholique. Elles portent également sur la campagne précédente, soit l'automne-hiver 2020-2021. Pour les Restos du cœur, "malgré la reprise économique, nous constatons que la situation des plus précaires s'est aggravée avec la crise : 53% des personnes accueillies ont déclaré avoir connu une perte de ressources liée à la crise, 15% ont déclaré être venues du fait de la crise". En conséquence, les activités de distribution dans la rue ont augmenté de 25% depuis deux ans, avec 2,1 millions de contacts annuels, et l'association constate également "une dégradation de la santé physique et mentale des personnes accueillies".
Comme le Secours catholique, l'association juge "particulièrement alarmante" la situation des jeunes et des familles monoparentales : 50% des personnes aidées ont moins de 25 ans et 40% sont mineures. Au total, les Restos du cœurs ont accueilli, lors de la dernière campagne, 1,2 million de personnes, dont 850.000 pendant la période d'hiver, et distribué 142 millions de repas sur l'année, grâce à l'action de 70.000 bénévoles réguliers et de 23.000 bénévoles occasionnels
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