"Le rapport sénatorial sur 'la reconnaissance biométrique dans l'espace public : 30 propositions pour écarter le risque d'une société de surveillance' a proposé l'inéluctable : l'expérimentation de la reconnaissance biométrique en France." La note publiée le 25 mai 2022 par l'Observatoire de l'éthique publique (OEP) se montre très critique vis-à-vis du récent rapport sénatorial (voir notre article du 12 mai 2022) qui "servira probablement de base à une future loi sur le sujet". Et comme s'il fallait se prémunir par avance d'éventuelles critiques, une note de bas de page mentionne expressément que "les propos tenus et les propositions formulées dans cette note n'engagent pas collectivement l'Observatoire de l'éthique publique et sont propres à son auteur", à savoir Raphaël Maurel, secrétaire général de l'OEP et directeur du département éthique des affaires.
Ce préalable étant posé, l'auteur rappelle que la "reconnaissance faciale, qui relève des techniques biométriques", demeure un "outil probabiliste comprenant une marge d'erreur". Il souligne, comme le faisait le rapport sénatorial, que "la perspective des Jeux olympiques de Paris en 2024 accélère indubitablement le processus en France". On notera que Raphaël Maurel regrette la terminologie employée par le rapport des sénateurs : "Alors que celui-ci annonce 'écarter le risque d’une société de surveillance', il préconise finalement l’inverse, en proposant justement d’expérimenter la reconnaissance faciale dont la technologie relève indubitablement des techniques de surveillance des sociétés." Il craint que "le rapport du 10 mai [serve] de levier pour l’ouverture d’une porte qui ne se refermera plus".
Plus concrètement, le secrétaire général de l'OEP regrette que le rapport fasse "l’impasse sur un enjeu éthique majeur". "Il faut avant tout se poser la question de l’utilité de cette technologie." Il considère "impératif de ne pas concevoir l’expérimentation comme un préalable à l’inscription de la reconnaissance faciale dans la loi, et de ne pas chercher à favoriser artificiellement l’acceptabilité de ces dispositifs".
Et de poser la question : "Peut-on posséder une technologie sans l’utiliser ?" Il préconise en effet de ne pas y répondre d’emblée par la négative, "à l’inverse de l’esprit qui semble avoir guidé les rapporteurs du Sénat". "Dès lors que la reconnaissance biométrique permet la catégorisation des individus, la terrifiante dérive vers une société de la notation sociale à la chinoise, dont le rapport prescrit l’évitement, devient de l’ordre du possible", prévient encore l'auteur.
Autrement dit, poursuit-il "face aux risques identifiés pour nos sociétés et nos libertés, la question de l’utilité de la reconnaissance faciale devrait être au fondement de toute réflexion sur une éventuelle démarche législative". Et d'ajouter que se poser cette question ne suffit pas : "encore faut-il s’autoriser à y répondre par la négative et à en tirer les conséquences". "Pour des raisons d’opportunité, de libertés comme de sobriété numérique, les pouvoirs publics doivent impérativement pouvoir se garder d’ouvrir la porte à la reconnaissance biométrique dans l’espace public", argumente Raphaël Maurel, citant la bombe atomique et les OGM comme exemples d'"avancées technologiques" qui "ont soulevé des questionnements éthiques".
Le secrétaire général de l'OEP insiste sur la nécessité "d’envisager l’expérimentation comme un véritable test et non comme un préalable à l’intégration du dispositif dans le droit français". Et de souligner que "les débats reproduits dans le rapport soulignent, à cet égard, la problématique de l’accoutumance provoquée par l’expérimentation, dont on sait par expérience qu’elle est généralement suivie d’une codification". "Il convient donc de prendre dès à présent les mesures qui s’imposent pour garantir que l’expérimentation puisse conduire à un verdict positif, mais également aboutir à des conclusions négatives et donc à une interdiction de la reconnaissance faciale", préconise Raphaël Maurel. Concrètement, "les éventuels dispositifs installés doivent ainsi pouvoir être désinstallés et l’ensemble des données collectées pouvoir être détruit, sans possibilité de réutilisation ni de transfert, par des personnes privées ou publiques, de quelconque manière que ce soit".
Au terme d'un argumentaire assez pointu, l'OEP formule "sept propositions en vue d'une réforme". Il encourage avant tout de "créer les conditions du débat public autour de l’opportunité de la reconnaissance faciale" grâce à des études approfondies précédant le travail parlementaire, tout en "prévoyant clairement la possibilité de ne pas modifier la loi". Il propose par ailleurs "d'instituer une Convention citoyenne pour un usage éthique des technologies numériques" afin de réconcilier "les citoyens avec le pouvoir législatif". Il préconise par ailleurs de "faire de l’interdiction le réel principe". Il estime donc que "le Parlement pourrait d’abord s’abstenir de modifier le droit positif, en n’adoptant aucune réforme". "Le droit de la reconnaissance faciale resterait dès lors encadré par le RGPD, qui permet peu de dérogations au principe de l’interdiction. Le législateur pourrait, subsidiairement, adopter le principe de l’interdiction en limitant les dérogations au strict nécessaire", détaille l'auteur. A contrario, il souhaite que soit adopté "le principe dérogatoire de la 'stricte nécessité' du dispositif". Enfin, l'OEP voudrait faire "interdire l’utilisation privée de la reconnaissance faciale" (préconisation n°5) , "centraliser les autorisations de recourir à la reconnaissance faciale" (préconisation n°6) et "sécuriser les données issues de la reconnaissance biométrique" (préconisation n°7).
Alors que le gouvernement Borne ne possède pas de "ministère du numérique" de plein exercice, reste à voir de quelles manières seront entendues les préconisations du secrétaire général de l'OEP.
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